Samedi 27 Septembre 2025
Représentons-nous la situation suivante : un employé arrive sur son lieu de travail et y croise ses collègues. Certains sont des personnes, d'autres, des entités artificielles. Il ne s'agit pas d'automates au sens habituel du terme, mais d'acteurs, des programmes informatiques indépendants, chacun élaboré à partir d'immenses quantités d'informations, possédant un pouvoir de décision et apte à réaliser des opérations d'ordre économique, civique et fonctionnel à grande échelle. Par exemple, ces acteurs suivent les filières d'approvisionnement, gèrent les dossiers médicaux, produisent des données et encadrent même nos échanges virtuels.
Il ne s'agit pas d'une scène de film, mais bien d'une évolution fondamentale qui nous attend dans un avenir proche et qui aura certainement un impact sur notre façon de travailler, sur le fonctionnement de notre société et même sur celui de nos communautés.
L'intelligence agentique : bien plus que de simples gadgets
Alors, qu’est-ce que l’IA agentique ? Imaginons que deux lecteurs, un analyste débutant et un économiste expérimenté, doivent analyser les bilans financiers d’une entreprise. Tous deux peuvent comprendre les chiffres, mais seul l'un d'entre eux peut en déduire une vision stratégique. De la même manière, les agents peuvent lire, analyser et raisonner, mais la qualité de leurs actions dépend entièrement des compétences dont ils sont dotés. Ces compétences peuvent être formées, acquises ou, ce qui est essentiel, partagées.
Dans le secteur public, cela représente une occasion exceptionnelle. Pourquoi chaque institution devrait-elle recréer le même agent ? Pourquoi les aptitudes d'un agent de détection des fraudes utilisées dans un service ne pourraient-elles pas être transférées, en toute sécurité et dans le respect de l'éthique, à un autre service ?
À l’image des collaborateurs échangeant leur savoir-faire, nous avons besoin d'une infrastructure pour mettre en commun les capacités agentiques au sein des institutions numériques. Des organisations comme les Nations unies peuvent apporter leur contribution, en établissant des normes à travers l'initiative du Pacte mondial pour le numérique.
Du « cloud souverain » aux « plateformes d'IA souveraines »
Actuellement, la souveraineté des données, c'est-à-dire le fait de conserver ses données à l'intérieur des frontières nationales, est au cœur de nombreux enjeux pour les entreprises. Mais en ce qui concerne les agents, ce qui importe vraiment, c'est où et comment les modèles sont élaborés, la manière dont ils sont gérés et contrôlés.
C’est pour cela que des plateformes d'IA souveraines sont essentielles. De la même façon dont les services RH gèrent les employés, ces plateformes permettraient de vérifier les qualifications, de garantir la cohérence, de suivre les résultats et de favoriser la collaboration.
Les gouvernements du monde entier sont déjà conscients que l'IA privée ne peut pas être construite sur des monopoles de cloud publics. L'identité numérique et la surveillance des agents doivent être ouvertes et transparentes, et non pas dissimulées, improvisées ou obscures.
En conséquence, les plateformes futures doivent être ouvertes dès leur conception - dans le code, les données, les protocoles - mais gouvernées par défaut. Depuis les identifiants numériques qui authentifient non seulement les humains, mais aussi les agents et leur comportement, jusqu'aux graphiques de connaissances qui respectent les connaissances institutionnelles partagées entre les systèmes, ainsi que les pistes d'audit qui documentent chaque décision, chaque déduction, chaque demande.
Il ne s’agit pas uniquement d'une question de technologie, mais bel et bien d’un nouveau modèle de société numérique, conçu pour protéger les citoyens et aligner l'intelligence sur les valeurs démocratiques.
Se projeter dans l'avenir
Loin d’être simple, cette transformation nécessitera une politique audacieuse, des investissements constants, une collaboration transfrontalière et, surtout, un leadership technique fondé sur des valeurs.
Mais soyons clairs : la coopération numérique n'est pas optionnelle. Au contraire, elle est la condition à la souveraineté dans un monde agentique. Sans elle, nous nous retrouvons avec des cloisonnements, un enfermement chez les fournisseurs et une dérive algorithmique. Avec elle, nous construisons un avenir où l'intelligence, qu’elle soit humaine ou artificielle, est au service du bien commun.
Alors, dépassons les effets de mode. Construisons des plateformes, des protocoles et des biens publics ouverts, modulaires et souverains. Considérons les agents non seulement comme des outils, mais aussi comme des membres d'une société numérique qui a besoin de gouvernance, de confiance et de coopération. Et il est possible que, lorsque nous regarderons aujourd'hui avec le regard de demain, nous nous souviendrons de ce moment non pas comme d'une crise, mais comme du moment où nous avons fait le choix de gouverner l'avenir ensemble.
