Jeudi 03 Juillet 2025
Avec l'aggravation du changement climatique et l'intensification des périodes de forte chaleur, exacerbant les difficultés d'accès à l'eau, certains États accroissent leur utilisation de la géo-ingénierie pour satisfaire des besoins locaux urgents. Parmi les technologies mises en œuvre, l'ensemencement des nuages, longtemps relégué au second plan du débat scientifique, fait désormais l'objet de plans gouvernementaux ambitieux, notamment en Chine et aux Émirats arabes unis. Leur point commun : utiliser l'IA, les données et l'automatisation pour transformer un ciel aléatoire en une ressource que l'on peut programmer.
L'ensemencement des nuages (cloud seeding) a pour objectif de provoquer la pluie ou la neige en introduisant dans l'atmosphère des particules telles que l'iodure d'argent ou du sel, qui favorisent la condensation. Employée depuis des décennies, cette technique est à présent optimisée grâce à la modélisation météorologique et à l'IA.

Bien que la Chine et les Émirats arabes unis se présentent comme des chefs de file d'une ère météorologique pilotée par des algorithmes, ils ne sont pas les seuls à explorer les possibilités offertes par l'ensemencement des nuages associé à l'IA. Des nations comme les États-Unis, la Thaïlande ou encore la Russie développent également des approches spécifiques, témoignant de priorités aussi diverses que leurs contextes politiques et climatiques. Aux États-Unis, certains États de l'Ouest comme le Colorado, le Nevada ou la Californie mettent en place des projets visant à augmenter les réserves de neige dans les Rocheuses, afin d'améliorer le remplissage des nappes phréatiques et des réservoirs ; l'IA y est utilisée pour affiner les prévisions hydrologiques et orienter les décisions des autorités locales. En Thaïlande, l'objectif est principalement agricole, avec une IA utilisée pour programmer avec précision les cycles d'ensemencement. Quant à la Russie, elle utilise ces outils de manière ponctuelle et stratégique, notamment pour éviter la pluie lors d'événements publics importants tels que les défilés militaires à Moscou.
Chine : la géo-ingénierie comme outil stratégique de stabilité
Depuis deux décennies, la Chine a intégré la modification du climat à sa stratégie de gestion territoriale. Ce choix ne se limite pas à une simple innovation météorologique, mais s'inscrit dans une logique plus large de sécurisation de l'eau, de soutien à l'agriculture et de maîtrise de l'environnement.
En 2020, le Conseil d'État chinois a dévoilé un plan national visant à doter le pays, d'ici 2025, d'un système de modification météorologique couvrant plus de 5,5 millions de kilomètres carrés. Un dispositif qui s'appuie sur une infrastructure à plusieurs niveaux : flottes d'avions d'ensemencement, batteries de lance-roquettes météorologiques, réseaux de radars, et, de plus en plus, systèmes d'IA intégrés capables de prévoir les conditions optimales d'intervention, voire de piloter automatiquement des drones à haute altitude.
Cette utilisation massive de la technologie a été employée lors des Jeux olympiques de Pékin en 2008 ; les autorités chinoises avaient alors affirmé publiquement leur capacité à éloigner les précipitations du périmètre des cérémonies. Cette politique a aujourd'hui pour but de protéger des zones agricoles essentielles, de renforcer les bassins hydroélectriques et de compenser les effets inégaux des sécheresses internes. Elle représente une vision assumée de la gouvernance environnementale, où le climat devient une ressource pilotable et stratégique au service de la stabilité nationale.
Émirats arabes unis : innovation ciblée et diplomatie climatique
À l'opposé géographique, mais dans une logique similaire de souveraineté en matière d'eau, les Émirats arabes unis ont lancé dès les années 2000 un vaste programme d'ensemencement des nuages. Le pays, dont plus de 90 % de l'eau douce provient du dessalement, considère cette technique comme une opportunité de réduire sa dépendance énergétique et d'anticiper une pression démographique croissante.
Sous l'égide du National Center of Meteorology, les Émirats ont testé des approches variées, allant de l'ensemencement par avion à des méthodes plus expérimentales : en particulier, l'émission de charges électriques par des drones dans les cumulus, une technologie développée en partenariat avec des universités britanniques. Ici aussi, l'IA joue un rôle essentiel dans la modélisation et la programmation : des algorithmes anticipent l'évolution des masses nuageuses et optimisent les trajectoires de vol en fonction des microclimats observés.
Au-delà des enjeux purement techniques, le programme s'inscrit dans une stratégie plus large de positionnement géopolitique vert. Lors de la COP28 à Dubaï, les Émirats ont clairement affirmé leur volonté de devenir un centre d'innovation climatique dans la région. L'ensemencement des nuages y est présenté non comme une solution miracle, mais comme un élément d'un ensemble d'adaptations technologiques.
Bien que certaines études suggèrent une augmentation des précipitations de 5 à 15 %, l'efficacité de l'ensemencement des nuages reste difficile à évaluer. De plus en plus de pays ont recours à cette technologie, ce qui soulève des questions éthiques et géopolitiques, car il n'existe aucune réglementation internationale claire sur la modification artificielle du climat : un pays peut-il l'utiliser au détriment de ses voisins ?