Mardi 16 Septembre 2025
Actrice, écrivaine et réalisatrice, Françoise Cadol est également une des figures majeures du doublage en France. Qu'il s'agisse de documentaires, de publicités, d'adaptations de films ou de jeux vidéo, son nom n'est peut-être pas familier à tous, mais il est très probable que son intonation vous soit connue. Voix emblématique de Lara Croft depuis 1996, elle a récemment mis en demeure l'éditeur de Tomb Raider, Aspyr MEDIA, pour avoir utilisé une version de sa voix reproduite par IA, sans son accord, bien qu'elle ait utilisé son droit de retrait.
Françoise Cadol est la version française d'Angelina Jolie, Sandra Bullock, Patricia Arquette ou encore du personnage de Mary Alice Young, la narratrice de la série Desperate Housewives. Elle fait partie des comédiens de doublage qui œuvrent dans l'ombre, mais dont le talent est essentiel à la qualité et au succès des œuvres audiovisuelles. Un métier menacé par l'IA générative...
Lutte contre la reproduction non autorisée des voix par l'IA
Françoise Cadol est une militante active au sein de l'association Les Voix, qui rassemble les professionnels du secteur depuis 2023 face aux utilisations non autorisées de l'IA générative.
Selon Patrick Kuban, l'un des co-fondateurs, près de 15 000 emplois pourraient être affectés par l'IA : les doubleurs, mais aussi les traducteurs et les techniciens.
Elle est également une figure importante du mouvement "Touche pas à ma VF", lancé en 2024 à la suite de la pétition lancée par l'association avec le Syndicat Français des Artistes interprètes (SFA) de la pétition "TouchePasMaVF : Pour un doublage créé par des humains pour des humains", et a officiellement exprimé son opposition à l'utilisation de sa voix dans l'apprentissage de systèmes génératifs via le droit d'exclusion.
Encore faut-il que ce choix soit respecté, ce qui ne semble pas avoir été le cas dans la procédure qui l'oppose à Aspyr MEDIA : la voix de Lara Croft que l'on entend dans la mise à jour de la compilation de jeux vidéos Tomb Raider IV-VI Remastered du 14 août dernier, a en réalité été produite par l'IA. Informée par sa communauté de fans, l'actrice a été bouleversée de constater que sa voix avait été recréée sans son autorisation pour de nouvelles répliques. Elle a rapidement fait constater l'utilisation par un huissier de justice et a adressé, avec son avocat Me Jonathan Elkaim, une mise en demeure à l'éditeur.
Celle-ci rappelle que :
La voix est un attribut de la personnalité protégé par l'article 9 du Code civil et l'article 226-1 du Code pénal ;
Selon le RGPD, la voix est considérée comme une donnée biométrique, dont l'utilisation sans consentement est strictement interdite ;
L'AI ACT européen ainsi que le droit français (article 226-8 du Code pénal) obligent les éditeurs de contenu utilisant un procédé algorithmique à le mentionner ;
Le droit de la propriété intellectuelle (et droits voisins) confère un contrôle exclusif sur la fixation et la reproduction des interprétations des artistes interprètes.
Selon Me Elkaim, il s'agit "d'une exploitation commerciale claire et assumée" alors que "l'éditeur ne pouvait ignorer ces obligations, d'autant que ma cliente avait exercé son droit d'opposition".
Cette affaire illustre un enjeu majeur qui dépasse le simple jeu vidéo. L'IA générative facilite la reproduction des voix, offrant des possibilités de production plus rapides et moins coûteuses. Mais elle soulève également la question de la valeur attribuée aux artistes, à leur travail et à leur consentement.
Si elle porte l'affaire devant les tribunaux, elle pourrait accélérer la normalisation des pratiques et, paradoxalement, contribuer à stabiliser le marché de l'IA vocale.
